Chambre de Skuld, Urd et Verdandi

Skuld s'apprêtait à entrer dans la chambre, lorsqu'elle s'arrêta dans l'encadrement de la porte, face à la fenêtre, fixant les rayons orangés du soleil qui se couchait.

* Encore un jour de plus...*

Elle se tint ainsi, sans ciller, pendant quelques minutes avant de reprendre brusquement ses esprits et de se parler à elle-même :

" Ma pauvre Skuld, tu penses trop ! "

Comme pour illustrer ses dires, elle se donna une petite tape sur le crâne et s'avança d'un pas assuré au centre de la pièce. Ce n'était pas la première fois qu'elle y entrait, et pour cause puisqu'elle y avait déjà dormi chaque nuit pendant une très longue période. Mais ce soir, cela sentait le changement, lui donnant un regard nouveau sur la pièce.

Cette salle était, à l'instar des autres chambres, douillette. Assez spacieuse, certes, mais les déesses avaient fait en sorte de ne profiter d'aucun espace supplémentaire qu'une chambre d'Ange ou même d'Apprenti. Question de principe.
Il n'y avait que les meubles les plus importants : une large armoire, un bureau qui servait dans le même temps de coiffeuse, trois lits une place collés les uns aux autres par les soins des déesses devenues complices et amies, qui en avaient marre d'être séparées par trois petites tables de nuits adorables. Mais c'était mieux ainsi.
La large fenêtre qui faisait face à la porte donnait sur l'océan, situé non loin du château. C'était vraiment beau, vu d'ici...

Skuld fut prise d'une envie subtile, et se glissa près de la fenêtre, qu'elle ouvrit assez largement. On était en été et le coucher du soleil était magnifique. Sans parler de la brise iodée qui s'infiltrait par l'ouverture de la fenêtre...
La déesse resterait bien là, longtemps... à rêvasser.

Verdandi, qui rentrait de sa balade quotidienne près de l'image d'Yggdrasil, pour voir si des personnes étaient arrivées, avait eu elle aussi l'idée d'aller se reposer dans la chambre.

Lorsqu'elle y entra et qu'elle vit Skuld, dans une béate contemplation du coucher de soleil, elle s'approcha doucement et lui mit une main sur l'épaule et lui dit, comme si elle avait deviné les pensées de l'autre déesse :

" Tu penses trop, Skuld ! "

Elle regarda alors à son tour dehors, et découvrit un paysage magnifique. Elle se dit presque que, rien que pour cette beauté, elle ne regrettait pas d'être morte.
La réalité était cependant toute autre, et Verdandi se languissait de sa famille, sa maison, ses amies...son monde.
Bien sûr que le Garden était un endroit magnifique où il fait bon vivre ( pas toujours pendant la nuit, mais bon... ), mais cela n'égalait pas encore à ses yeux sa vie humaine. Tout cela était arrivé si vite...

Elle soupira et s'affaissa sur son lit sur lequel traînaient encore mollassement quelques vêtements. Elle plaisanta :

" Dis donc, dès qu'on entre dans cette chambre on devient songeuses, voire dépprimées. Faudrait peut-être condamner l'accès à cette chambre tu crois pas ? "

Skuld ne se rendit compte de la présence de son amie que lorsque la main de cette dernière vint toucher son omoplate, et lorsque sa voix s'éleva pour dire exactement ce que pensait Skuld.
Faisant mine d'être de mauvaise humeur alors qu'il n'en était rien, la déesse grommela :

" C'est pas pour rien que t'es la déesse du présent... "

Elle la suivit d'ailleurs lorsque celle-ci s'affala sur le lit, et apprécia les quelques rebond du matelat. C'était une chose assez rigolote que de s'enfoncer dans l'édredon puis dans le matelat, jusqu'à se sentir tomber...tomber...

Et d'ailleurs, Skuld tombait bel et bien ! Verdandi s'amusait à la pousser du lit avec ses pieds, comme pour la remettre en forme. Elle avait du remarqué que la bonne humeur de Skuld était un peu altérée par quelque chose...Ce quelque chose, c'était que depuis quelques jours, les âmes n'arrivaient pas...elles n'arrivaient plus. Et alors, il n'y avait donc plus d'âmes choisies, d'élus ?

Elle reprit ses esprits et regarda Verdandi. Elle était encore bien insouciante...Du moins, c'est ce qu'elle laissait paraître par son innocence infantile et naturelle, mais en réalité, Skuld était persuadée qu'elle aussi, était un peu anxieuse.
Elle se remit sur le lit, non sans sourire amusé, puis répondit :

" Ce n'est pas la chambre qui est en cause, mais en ce moment, c'est difficile d'être aussi enjouée...que toi ! "

Elle se mit à la chatouiller vigoureusement, pour la punir d'avoir voulu ( et presque réussi ! ) la faire tomber.

Verdandi ne put s'empêcher de sourire en regardant son amie, de 6 ans son ainée. Ces 6 ans faisaient une différence entre elles deux, sûrement de maturité, et cela se voyait surtout dans ces omments de silences songeurs. Skuld semblait tant s'y investir...tellement même, qu'elle ne laissait plus de place pour la détente et l'amusement !

*Quoique...*

Se dit la jeune déesse, lorsque Skuld entreprit de la chatouiller vigoureusement. Verdandi se plia de rire, ne résistants pas à ces attouchements horribles, qui provoquaient le rire contre son gré.
Elle essaya de se défendre, en essayant d'atteindre les flancs de Skuld mais ne parvint qu'à se faire avoir, encore et encore. Dieu ce que ça faisait mal aux abdominaux de rire autant !!

Elle reprit son souffle tant bien que mal, puis dit entre deux éclats de rire et mouvements vifs de jambes :

" Arrêt-eee j'en -peu-ux plu-u-us !!!!

Il faut - bi-en que-e quelqu-'un soit - en-joué pou-ur deu-u-ux ! "

C'était vraiment trop horrible maintenant, Verdandi en suffoquait presque.

Compatissante aux maux abdominaux de son amie, Skuld arrêta le supplice des chatouilles, et se laissa retomber sur son lit, qui rebondissait toujours autant qu'au premier jour. Ça lui avait fait du bien de rire en même temps que Verdandi, elle était maintenant plus décontractée - et plus essoufflée.

Elle observa pendant un moment le plafond, songeant à ce que lui avait dit la déesse entre deux éclats de rire. Oui, en ce moment elle n'était guère joyeuse.

" C'est pas ma faute..."

Murmura-t-elle, se sentant subitement coupable de causer du souci à sa jeune amie.
Elle demeura encore silencieuse, appréciant le calme qui régnait. Il était différent de sa solitude antérieure, et présageait le bonheur futur.
Plus décompressée, la déesse dit brusquement :

" Ça te dit qu'on aille manger un bout ? J'ai envie de noix de cajou...Un gâteau aux noix de cajou..."

Des fois, Skuld avait des lubies, qui ne lui sortaient de la tête qu'en les exécutant. Elle savait que si elle ne mangeait pas vite des noix de cajou, elle allait y penser sans arrêt, voire même en rêver...
Ouai, Skuld est une femme très extrème.

En voyant l'effet qu'avait eut cette phrase sur Skuld, la déesse du présent regretta un peu de l'avoir dite. Ah, elle manquait de tact...Par sa faute, son amie semblait triste, et son bonheur précédent s'était évanouit en culpabilité.
Verdandi s'approcha de Skuld et lui caressa la joue en collant sa tête sur l'épaule de la déesse. Elle dit d'une voix douce :

" Ne t'en fais pas, bientôt les jours heureux viendront, et Yggdrasil sera sauvé par le prix de tes efforts..."

Elle sursauta néanmoins quand Skuld proposa aussi brusquement une chose aussi saugrenue : manger ? Noix de cajou ?

" C'est bien toi ça ! "

Fit-elle en riant. Skuld était un peu lunatique, même si elle se plaisait à le nier.
La déesse réfléchit un instant, se demandant si elle avait envie de manger ou non. Elle n'en avait plus besoin physiquement, maintenant qu'elle était morte, mais son esprit ne se passerait jamais de cette habitude. Elle s'exclama alors :

" D'accord, descendons à la salle à manger. Je suis sûre qu'il y aura des trucs déjà tout prêts pour nous ! Je prendrai bien...une part de brownies. "

* Ha, gourmandise quand tu nous tiens...*

Elle se leva, aida Skuld à faire de même et descendit les escaliers en direction du Rez-de-Caussée, où se trouvait cette salle si précieuse à l'esprit.

[ Salle à manger ]